Lorsque vous avez une grande et belle nouvelle à annoncer à quelqu’un, comment vous y prenez-vous ? Il y a de l’élan, de la joie. On saute de joie.
Nous venons d’entendre le récit de la résurrection de Jésus dans l’évangile de Luc. Aucune joie. De la crainte, des femmes le nez par terre, un corps disparu. Des hommes qui disent que les femmes tiennent des propos délirants. Un seul se pose quand même des questions : Pierre. Et si elles disaient vrai ? Il court vérifier. Il constate comme les femmes ont dit. Il s’étonne. Voilà l’annonce de la résurrection de Jésus : sans tambour ni trompette. Parce que c’est incroyable. Je pèse le mot : incroyable, c’est-à-dire pas croyable.
Alors pourquoi sommes-nous là ce soir ?
Avec nous, Dora, Karima et Jean-Divin vont être baptisés : croyez-vous que nous les ayons entraînés dans une farce ?
Lorsque j’étais encore ado, il y avait des moments de questions intenses partagées en famille, plutôt avec les grandes sœurs qu’avec les parents pour qui on ne rigolait pas avec la religion. Nous jouions à mettre en doute ces certitudes qu’on nous avait apprises : l’existence de Dieu, la résurrection de Jésus. On disait même, je me souviens : « Si ça s’trouve même le pape n’y croit pas ! » C’était les moments de dépression profonde de la foi vous voyez… Le pape c’était la caution. Nous avons tous besoin de paroles et de personnes qui font autorité. Si je vous disais là ce soir que tout cela c’est de la blague, je sèmerais le trouble.
Vous rendez-vous compte pourtant que le récit de la Résurrection provoque le trouble ? C’est du trouble qu’est née la foi chrétienne. Trouble des femmes d’abord qui sont les premières à voir et à dire aux hommes. Trouble des hommes ensuite. Étonnement de Pierre. Parce que c’est incroyable.
Comment se fait le déclic de la foi ? Ça se tient où ? Comment passe-t-on de l’incroyable à la contemplation d’un mystère qui devient le cœur, le moteur de l’existence humaine, qui fait qu’un jour, on devient chrétien ?
L’Évangile dit que cela se passe en se remémorant les paroles de Jésus : Il l’avait annoncé. Le récit que nous avons entendu précède le récit des pèlerins d’Emmaüs que connaissent bien les enfants qui ont préparé leur communion. Jésus rejoints ces hommes troublés et défaits par la mort de Jésus, et il leur explique à travers l’Écriture, c’est-à-dire les prophètes, la Loi de Moïse que ce qui s’est passé était annoncé. Jésus a toujours fait ce qu’il a dit. Il n’y a jamais eu de distance chez lui. C’est la marque de Dieu. La marque de l’homme, c’est de ne pas faire ce qu’on dit.
Voilà pourquoi ce soir nous avons pris le temps d’écouter longuement les récits bibliques qui annoncent la résurrection. Nous avons découvert ou redécouvert que Dieu est créateur. De rien, il fait jaillir la vie. Nous avons entendu le récit du passage de la Mer Rouge. Dieu est libérateur. Il fait passer de l’esclavage à la liberté. La mort est engloutie, annonce du baptême. : Nous avons entendu le prophète Isaïe : « De même que la pluie et la neige qui descendent des cieux n’y retournent pas sans avoir fécondé la terre, ainsi ma Parole. Jésus est la Parole de Dieu qui fait germer partout la vie. Nous avons entendu le prophète Ézéchiel : je verserai sur vous une eau pure, vous serez purifiés. Dieu change le cœur de l’homme, il purifie, il ouvre l’avenir. La résurrection de Jésus est l’annonce que Dieu fait ce qu’il dit.
Les messagers mystérieux qui se présentent aux femmes en vêtements éblouissants leur disent : ne cherchez pas le vivant chez les morts. Et de fait, les femmes dit l’Évangile avaient les yeux baissés, le nez par terre, regardant le sol où on ensevelit les morts. Relevez la tête, leur disent-ils, levez les yeux, contemplez : vous allez voir des choses.
Lorsque Jésus, dans le récit de l’Ascension, au début des Actes des Apôtres, va disparaître aux yeux des disciples, les mêmes personnages mystérieux viendront les réveiller en leur disant : Pourquoi restez-vous les yeux fixés au ciel ?
Ni le nez par terre, ni la tête dans les nuages, la résurrection de Jésus fait de chacun de nous des hommes et femmes libres, debout, pour faire face. Des hommes et femmes libres, ni la tête baissée en signe de soumission et de tristesse, ni la tête dans les illusions, mais les yeux dans les yeux, pour contempler le monde, pour voir le monde tel que Dieu le voit. Et ce monde, Dieu le voit réconcilié avec lui-même, recréé, libéré, beau. Ce monde, Dieu le voit comme un monde fraternel où les hommes se réconcilient plutôt que de se haïr.
Le baptême nous fait entrer dans cette contemplation du monde, dans ce regard sur le monde qui est le regard de Dieu.
Dora, Karima, Jean-Divin, vous allez recevoir le baptême. Le christianisme dans lequel vous entrez ce n’est pas « ça plane pour moi ». Ce n’est pas, pardonnez l’expression, des bigoteries ou mièvreries. C’est une entreprise de restauration de la dignité de l’homme. C’est un engagement de toute sa vie pour réparer ce qui est abîmé, en fidélité au Christ. Réparer ce qui est abîmé : Migrants, familles, chômeurs, Roms, Gens du Voyage, enfants, terrorisme… C’est le cœur de l’homme qu’il faut guérir.
Ni le nez dans le guidon, ni fuite dans l’illusion. Être chrétien c’est être de chair et d’os, c’est passer, de la haine ou de la crainte des hommes, à l’amour. Mais rien ne fera bouger les chrétiens, les baptisés, s’ils ne sont d’abord enracinés dans une relation vivante au Christ, celle-là même qui a fait bouger les disciples après sa résurrection. Il faut avoir souffert avec lui et avec les hommes, il faut avoir aimé avec lui pour aimer les hommes. Que notre vie s’enracine dans la relation au Christ, elle est la caution de notre témoignage : Ou nous vivons en accord avec notre foi, et nous serons crédibles. Ou nous vivons le nez par terre pour ne rien voir, ou la tête dans les nuages où Dieu n’est pas, et nous serons balayés.
Le Nom de Dieu est miséricorde, a écrit le pape François.
Daniel Orieux