« Il est temps de faire un peu de ménage »
Nous avons été privés d’eucharistie pendant presque trois mois. Le frère François Cassingena-Trevidy nous secoue : » Il est temps d’y faire encore un peu de ménage » (et il ne parle pas du virus). Il s’agit d’en profiter pour retrouver le génie de l’eucharistie des chrétiens qui est de mieux relier le « Ceci est mon Corps livré pour vous » du geste du lavement des pieds le même soir par Jésus. Le « Faites ceci en mémoire de moi » vise ces deux actions que nous pouvons être tentés de séparer. Nous sommes invités maintenant à réunir dans une eucharistie redécouverte ce que nous avons vécu depuis des semaines : d’une part la lecture de la Parole de Dieu plus intense peut-être et partagée en famille pour ceux qui le pouvaient – et d’autre part le service du frère qui s’est trouvé plus impérieux et plus imaginatif et qui doit continuer !
Ce frère (moine à Ligugé, théologien un temps responsable du service national de Liturgie), plaide même pour des messes pas nécessairement nombreuses (!) mais « qui viendraient consacrer, non pas un azyme insipide d’habitudes et de vies parallèles, mais le pain chaleureux, laborieux et complet de vies résolues à entrer pratiquement en communion profonde, à soutenir l’effort d’un pardon explicite et réciproque, et surtout ce partage fraternel de la Parole de Dieu qui, servant d’unique table sainte, fait la dignité d’un Peuple d’interprètes ? En d’autres termes, c’est l’épaisseur et la consistance de nos « provisions » eucharistiques qui sont à examiner et à travailler : provisions humaines faites de nos énergies, de nos travaux, de nos épreuves, de nos joies, de nos relations, tout ceci pour des eucharisties moins obligées, moins automatiques, moins machinales, qui viendraient tout simplement en leur lieu et en leur temps, et par conséquent plus à même de sustenter, parce que nécessitées par un arriéré de vie plus incarnée, plus ardente, et peut-être plus périlleuse (voir Ac 27, 33-38). Il ne faudrait pas que le désir individuel (sinon individualiste) de consommer nous obnubile à tel point que nous en venions à oublier, ici, ce que nous devons apporter : la matière première, le petit bois de notre humanité et les poissons de notre pêche commune, à l’issue de la peineuse nuit (Jn 21, 10) »
Dans nos eucharisties à venir quelle sera « l’épaisseur et la consistance de nos provisions eucharistiques » ? Oserons-nous apporter et partager « ce petit bois de notre humanité » travaillée encore plus qu’avant par ce souci de la fraternité, de la solidarité et de la justice … ce dont nous avons été témoins et acteurs – chacun/chacune pour sa modeste part – depuis presque trois mois ? Fraternité, justice et solidarité encore plus exigées pour faire face aux drames à venir ! Car il s’agit de « notre édification mutuelle et de l’édification du monde (il serait temps d’y penser…) » Sinon, nous dit ce frère, nous allons retomber dans la routine… Et il pose la question : » nos eucharisties vont-elles s’ouvrir pour un questionnement et un approfondissement de nos énoncés traditionnels, pour une interprétation savoureuse de la Parole de Dieu loin de toute réduction moralisante, pour une ouverture efficace aux détresses sociales, pour une perméabilité réelle aux inquiétudes, aux doutes, aux débats des hommes et des femmes de ce temps, en un mot pour la révolution eucharistique ? » La « présence réelle » est dans ces frères à servir. L’eucharistie « est Présence, elle est Acte, avec toutes les conséquences sociales (proprement explosives et révolutionnaires), avec tout l’humanisme intégral qui en découle et dont Mt 25, 40 donne l’indépassable formule : » ce que vous avez fait à l’un de ces plus petits qui sont mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait. » C’est ce que nous venons célébrer à chaque eucharistie : « L’intimité la plus délicieuse avec Jésus postule la solidarité la plus industrieuse avec ses frères. »