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« L’heure d’être de modestes réparateurs » – Ouest-France 2-3 mai 2020

Véronique Margron
Véronique Margron

Théologienne et spécialiste des questions d’éthique, Véronique Margron appelle à la modestie de chacun.

La modestie, telle pourrait être une nouvelle et bienfaisante devise pour notre République comme pour chacun. Le Covid-19 aura souligné combien nous allons d’incertitude en incertitude. « Attends-toi à l’inattendu, écrivait Edgar Morin il y a quelques jours dans Le Monde [[Le Monde du 18 et 19 avril et voir aussi Un festival d’incertitudes, Edgar Morin, Tract-Gallimard, 21 avril 2020]], face à un festival d’incertitudes : L’origine du virus, les mutations que subit ou pourra subir le virus au cours de sa propagation, quand l’épidémie régressera et si le virus demeurera endémique ; les conséquences psychiques, familiales, conjugales du confinement ; les suites politiques, économiques, nationales et planétaires, de tout ce drame. Enfin disait-il, « Nous ne savons pas si nous devons en attendre du pire, du meilleur, un mélange des deux : nous allons vers de nouvelles incertitudes ».

Voilà alors qui exige notre modestie à nous tous. Aux plus savants, aux politiques et aux acteurs du monde commun d’hier, comme à l’Église et à chacun de nous. Pour ce qui est de notre Église catholique, le drame et le scandale des abus et des agressions sexuelles nous ramenaient déjà, douloureusement et difficilement, mais véritablement je l’espère, à cette nécessaire modestie qui consiste d’abord à apprendre d’autrui, à commencer par celles et ceux qui ont été brisés par ces crimes. Se mettre à l’école de ‘l’envers du monde’. Alors aujourd’hui plus encore sommes-nous conviés avec force à apprendre des ‘premiers de tranchée’ tout autant que des ‘premières lignes’.

De modestes acteurs de liens

Renoncer aux certitudes, aux idées toutes faites, aux prétentions faciles. Ne pas céder à cette pente très commune d’être des experts de pacotille du covid-19, du ‘confinement’ comme du ‘déconfinement’. Nous éclairer alors, modestement, tâtonner tous, quitter toute superbe, car « que les choses continuent comme avant, voilà la catastrophe » [[Walter Benjamin, Baudelaire, édition établie par Giorgio Agamben, Barbara Chitussi et Clemens-Carl Härle, traduit de l’allemand par Patrick Charbonneau, La Fabrique éditions, 2013.]].
Un jour viendra, comme citoyens responsables dans ce pays, où nous aurons à débattre des mesures prises, ou pas. Mais l’heure est toujours au combat contre la maladie et son cortège de drames pour les personnes comme pour les peuples, ici et bien ailleurs.
Combat qui exige aussi de participer du mouvement qui doit soutenir la paix sociale indispensable aux épreuves à venir. Ce temps a exacerbé difficultés, soupçons, mal de vivre de beaucoup, douleurs, voire rancœur aussi. Ce n’est pas l’heure d’en rajouter. Mais bien d’être de modestes acteurs de liens, de cohésions, de reconnaissance. « La civilisation est un bien invisible puisqu’elle porte non sur les choses, mais sur les invisibles liens qui les nouent l’une à l’autre, ainsi et non autrement », soulignait Antoine de Saint-Exupéry [[Lettre du 30 juillet 1944, écrite au général X, la veille de sa mort au large de Marseille.]] dans un courrier terrible et vibrant.

Réparer les brèches

Le vieux prophète Isaïe, vers le Ve siècle avant notre ère, écrivait ceci : « Tu rebâtiras les ruines anciennes, tu restaureras les fondations séculaires. On t’appellera : Celui qui répare les brèches, Celui qui remet en service les chemins. » Isaïe, 58, 12. Réparer les brèches, remettre les chemins en service, c’est se soucier des liens qui nous unissent à tous. De notre destin commun, abîmé par tant de drames et par cette épreuve collective. Passer du contact qui tue à la communion, au soin, à la fraternité qui renouvellent et rendent la vie vivante et possible.


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