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Fête paroissiale – Homélie du père Daniel Orieux

Aujourd’hui, jour de fête paroissiale, l’Évangile de Matthieu (21, 33-43) poursuit son cycle de paraboles liées à la vigne. C’est de saison. De l’avis de tous, cette histoire de vignerons homicides est bien dure.

Si un jour vous trouvez un évangile facile, méfiez-vous. Ce ne sera pas l’Évangile.

Aujourd’hui c’est difficile ? Mais l’Évangile n’est qu’un miroir. C’est l’histoire du monde qui est racontée là. Il était une fois une alliance voulue par Dieu avec les hommes. Une vigne est confiée par un maître : le monde créé par Dieu et confié aux hommes, les serviteurs : les fils d’Abraham, les fils de la promesse. Une alliance : rendre à Dieu les fruits de la terre. L’action de grâce à Dieu pour la vie du monde est l’acte le plus grand, le plus noble, le plus important qui soit, c’est l’acte par lequel l’homme est homme, c’est à dire Fils de Dieu, marqué d’une dignité infinie, intouchable, sacrée.

Mais les fils d’Abraham ont bouleversé les termes de l’alliance : refus de dire merci, refus de Dieu. L’homme s’approprie, s’accapare. Au lieu d’ouvrir les mains pour donner et partager, il s’agrippe, il prend possession, il s’accapare.

Dieu envoie des prophètes pour rappeler la grandeur de l’homme et les termes de l’alliance. Ce sont les prophètes de l’Ancien Testament. Le peuple les tue de même que les vignerons tuent les serviteurs. Dieu envoie son Fils. Il sera tué. C’est Jésus.

Mais de la Passion de Jésus, de sa mort, va surgir la vie : la pierre rejetée par les bâtisseurs est devenue la pierre d’angle : la résurrection de Jésus est le triomphe sur l’égoïsme et la haine. Ce triomphe a été possible à cause du chemin de serviteur suivi par Jésus. A cause de l’amour de Jésus qui est le témoignage vivant de l’amour de Dieu notre Père pour notre monde, et pour chacun de nous. L’Évangile de ce jour est le rappel de l’alliance que Dieu a passé avec l’homme et dont nous devons avoir mémoire.

La parabole se termine par des paroles mystérieuses : la vigne sera confiée à un peuple qui lui fera produire son fruit ? Quel est donc ce peuple. J’ai essayé de l’imaginer et j’avais devant les yeux le panorama de la paroisse Sainte-Marie-de-Doulon. Serions-nous une portion de ce peuple chargé de faire produire du fruit à la vigne ?
Vous le savez, cet été, nous avons été sommés de produire du fruit. Je veux parler de ce qui s’est passé au presbytère Saint-Médard et dont je voudrais tenter avec vous une relecture chrétienne. Ce qui s’est passé nous ne l’avons pas cherché. Nous avons été mis devant une situation de fait. Nous avons été confrontés à des personnes concrètes, précises. Il a fallu prendre des décisions. Même ne rien faire est une décision dans ce cas là.

La décision la plus difficile, la plus dangereuse était celle-ci : fallait-il ou pas demander l’expulsion ? Ça se joue sur le fil vous savez. Quand on commence à mesurer les conditions d’hygiène, la durée que peut prendre cette occupation, les tracas que cela va apporter, la confiance que l’on peut ou pas apporter aux associations de soutien, très disparates, la rencontre avec la mairie, la préfecture… ça va mener où ? Et la sécurité ? Et la légalité ? On commence par se sentir submergés.

Et puis on rencontre des personnes. Des jeunes d’abord qui ont préparé le terrain en investissant le presbytère et dont une parole décisive a été celle-ci : on ne peut pas laisser des gens dehors. Je n’ai rien trouvé à redire. Qui aurait trouvé à redire ? Ils avaient raison, c’est tout.

Ensuite on rencontre des migrants. Ils racontent leur histoire. Chacun a son histoire, et reviennent alors en mémoire les drames de la Méditerranée, terribles drames, dénoncés très clairement par le pape François. Je pense aux vignerons homicides : c’est le monde qui en ce cas là est homicide. L’Évangile est bien un miroir de notre comportement.

Ensuite on rencontre l’évêque, son conseil, les responsables du Secours Catholique, de la pastorale des migrants, on prend une décision. Non, ce n’est pas possible : l’Église Catholique ne peut pas demander l’expulsion. Nous sommes chrétiens. Nous ne sommes pas naïfs, mais suffisamment encore pour oser dire : nous sommes capables d’assumer cela, nous l’assumons. C’est notre vérité de chrétiens. C’est notre avenir.

Et puis il y a vous, la communauté rassemblée ce matin, dispersée durant l’été. Je peux vous assurez que vous avez été présents à ma pensée à chaque étape de cette aventure. Car c’est vous qui êtes la paroisse, le Peuple de Dieu. C’est vous dans la diversité de vos vies, de vos histoires, de vos engagements, dans le silence ou sur le devant de la scène, qui représentez les vignerons appelés par Dieu pour produire de beaux fruits. Vous êtes le Corps du Christ, Le Christ est devenu le symbole universel : ce qui est rejeté va devenir la pierre d’angle de l’édifice. C’est par eux, les migrants, tant de fois rejetés, que Dieu en cette rentrée a décidé d’édifier notre paroisse sur la justice et l’action de grâce. Ce sont eux qui nous ont provoqué, de la même manière qu’au fil des pages de l’Évangile on voit des tas de gens dans le besoin interpeller Jésus. Et pour chacun il a une parole. Et pour chacun il a un geste. Pour chacun il ouvre un avenir. Le Christ est notre grandeur, notre pierre d’angle. D’un mal peut surgir un bien. De la détresse peut naître l’espérance. Du rejet peut naître l’accueil. De l’exil peut se construire une demeure stable fondée sur la justice
La vigne produit des fruits. Il nous faut encore beaucoup de travail pour nous assurer qu’ils seront beaux. Mais ils le sont déjà vous savez. Je n’ai jusqu’à ce jour entendu que des manifestations de soutien. Pas de grands discours mais des gens qui demandent : que peut-on faire pour aider ?

J’aime cette paroisse-là qui se révèle dans les actes les plus humbles, les plus cachés, mais qui traduisent le cœur. Là, j’en suis sûr, l’avenir est devant nous. Là j’en suis sûr, l’Évangile est annoncé.

Nous avons passé ce matin un magnifique diaporama. Non pas pour nous regarder dans la glace, mais pour nous connaître et nous reconnaître. La force des chrétiens dans ce quartier, c’est leur unité, dans la diversité de leurs engagements, de leurs origines. Nous sommes un seul peuple, portion de l’Église catholique. Un peuple à qui Dieu a confié la vigne pour qu’elle produise du fruit.

Alors ensemble nous portons ces fruits devant Dieu notre Père.

S’il le fallait nous serions les derniers à dire merci à Dieu. Mais jusqu’au bout nous dirons merci à Dieu, c’est là notre grandeur. C’est notre vocation.

Daniel Orieux, curé de Sainte-Marie-de-Doulon


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